Les chroniques et histoires anciennes

Après la "drôle de guerre" qui dura de septembre 1939 à mai 1940, l'Allemagne envahit la Belgique le 10 mai 1940. Les chars allemands, sous les ordres du Général Guderian, Chef d'Etat Major, entrent en France du côté de Sedan. L'Armée française mal préparée à cette guerre de blindés recula vers la Somme. Le général Gamelin qui commandait les Forces Franco Britanniques depuis 1939 fut rendu responsable de cet échec et sera remplacé le 19 mai par le Général Weygand. Dans son appel diffusé sur les Ondes de la radio à l'attention de l'armée et de la Nation, le nouveau chef lança dans son discours cette phrase historique : "Tenez encore un bon quart d'heure, et nous vaincrons par ce que nous sommes les plus forts". Les chars allemands continuant toujours d'avancer, un ordre de réquisition fut publié. Il s'adressa à tous les réservistes valides et les encouragea à partir immédiatement en direction de Gray en Haute Saône, qui devait être un point de rassemblement dans l'attente de nouvelles consignes.

L'icône de la Vierge près du Lochberg

Suite à cet appel de masse, une file interminable d'hommes originaires de la Vallée et du bassin potassique montaient pendant deux jours, à pied ou à vélo, la route principale, en s'efforçant de grimper au sommet du Ballon en direction de Saint-Maurice et de Vesoul. Cet exode rappelait curieusement le recrutement des hommes du Landsturm de 1914, qui par le même chemin et Bussang devait les emmener en Ardèche, pour se soustraire à l'envahisseur. Mais cette fois aucun homme ne parvint à destination, et après errance dans le nature et des nuits passées à la belle étoile, beaucoup se résignèrent à rentrer dans leur famille, dans l'attente du déroulement des événements.

L'icône de la Vierge, où passe l'ancienne frontière de 1870 (pres du Lochberg)


Le 14 juin un nouvel appel du Ministre de la guerre s'adressa aux jeunes des classes 1920 à 1922 âgés de 18 à 21 ans pour partir sans délai rejoindre Belfort puis Gray. La consigne donnée, fut d'emporter une couverture et des vivres pour trois jours. Ce ne fut pas avec un grand enthousiasme que nous parvint cette nouvelle qui nous rappelait un peu les conscrits de 1813, qui sans instructions préalables de maniement d'armes furent lancés dans la mêlée.

Après avoir fait nos adieux aux parents et amis, nous partions une trentaine environ, à pied vers le Lochberg, enjamber la barrière de la clôture du pâturage, à côté de l'icône de la Vierge, où passe l'ancienne frontière de 1870. 11 faut préciser, que la statue de la Vierge de l'époque a été remplacée une première fois en 1948 puis en 1995 suite aux dégradations subies par les intempéries aux cours des années. Nous jetions un dernier regard en arrière, avant d'amorcer la descente vers la Madeleine, Riervesmont, en direction de Belfort.

Chaque groupe choisissait le parcours qui lui parais- sait le plus sûr à cause des avions ennemis qui mitraillaient à basse altitude tout ce qui se déplaçait. A la tombée de la nuit, avec mon groupe nous arrivions à Belfort. Nous cherchions la caserne Brisach pour nous renseigner sur les ordres de route à suivre et sur les possibilités de passer la nuit. Les recherches auprès des autorités militaires désorganisées, incapables de faire face à la situation de plus en plus critique, furent infructueuses.

Le sentier des passeurs

Le sentier des passeurs


Les trains en partance de Belfort en direction de Vesoul étaient partis dans l'après- midi. Aucun moyen de locomotion n'était à notre disposition et continuer à pied aurait été de la folie après une marche aussi longue. Découragés par un pareil accueil et un manque total de coordination, après concertation, nous avons fait demi-tour. Dans cette ville morte, sans lumière, tels des fantômes, on arriva au cimetière des Mobiles où une halte s'imposait pour nous restaurer et nous remonter le moral. l'horloge de l'Eglise St Christophe sonnait minuit.

Remettant nos sacs au dos, nous sommes sortis par la porte du Vallon, en direction de Roppe. Quelques chevaux de frises, seuls défenseurs d'une ville si héroïque par le passé, étaient alignés. Fatigués suite aux efforts de cette marche, nous nous sommes couchés dans un bosquet à côté de la route. Au lever du jour, un clairon sonnait le réveil au loin, et nous rappela à la réalité. Dans la brume, matinale nous apparurent les premiers éléments d'une armée française à la déroute, complètement dépareillée qui refluait vers les sommets des Vosges. Engageant la conversation avec ces militaires aussi désemparés que nous, notre surprise fut grande d'apprendre que l'ordre de réquisition concernant ces trois classes de jeunes, avait été annulé par le ministre à notre grand soulagement.

Pour la petite histoire de cette odyssée on se rappellera qu'en arrivant à Riervesmont , on a trouvé une auberge à côté de la route, la porte était ouverte et nous pensions pouvoir aller goûter une bière de LaChapelle. Qu'elle aubaine ! Parlant alsacien entre nous, en montant les marches de l'escalier, la patronne croyait avoir à faire à des allemands et claqua net la porte, en criant : ''Les Boches sont là !''. C'était le résultat d'une propagande à outrance de la cinquième colonne pour tromper l'ennemi qui fût vraiment efficace, mais la prochaine fois l'on parlera français. Je me demande encore aujourd'hui comment cette dame, quatre jours plus tard a accueilli les allemands.

Suite à cette débâcle, les moyens de communication désorganisaient les nouvelles, souvent erronées, qui circulaient sur la cinquième colonne. ils voyaient des espions partout et nous rappelaient à la vigilance. Notre souci fut de rentrer au plus vite à la maison, par Rougemont et Masevaux, mais cette vadrouille un peu mouvementée ne sera que le début d'événements plus sérieux. Le 15 juin, les Allemands attaquaient la ligne Maginot, et le 16, le Rhin était franchi du côté Neuf Brisach. Le 18, les troupes du général Dollmann entraient dans notre vallée. Soixante ans après ces faits, peu de survivants sont encore parmi nous, pour se remémorer ces événements souvent tragiques et comiques à la fois, de l'histoire de la France de l'époque.


Dans cet épisode quelque peu chaotique, il serait injuste d'oublier les camarades de l'arrière vallée, qui sur incitation du Général ZELLER, en permission à Oberbruck, partirent par des chemins différents, mais s'attardant trop longtemps dans les fermes de passage ne parvinrent pas loin du point de départ. Les quatre années qui suivront seront de rudes épreuves pour les participants de cette première alerte parmi lesquels les EHRET, WIMMER, STEMPFEL, PFEFFER, LINDECKER, STUDER et d'autres futurs "MALGRE NOUS", dont beaucoup ne verront pas la fin de la guerre et ne connaîtront pas le retour au pays.

Pierre ACKERMANN

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